L’arrêt du projet de l’autoroute A69 marque-t-il le début d’une révolution dans notre manière d’aborder la construction et l’aménagement du territoire ? Cette décision soulève des interrogations profondes sur notre rapport à l’espace et à la durabilité. À l’heure où l’urgence climatique n’est plus un concept abstrait mais une réalité mesurable, la poursuite de nouvelles infrastructures mérite un examen critique. Notre société, qui a longtemps associé la construction au progrès, se trouve confrontée à une contradiction fondamentale : comment concilier développement territorial et préservation écologique ?
Le dilemme des grandes infrastructures face à l’urgence climatique
L’empreinte carbone des infrastructures neuves représente un fardeau considérable. Chaque étape du processus – extraction, transformation, transports, mise en œuvre – génère des émissions substantielles, sans oublier l’artificialisation des sols qui compromet la biodiversité. Dans ce contexte, une question s’impose : devons-nous persister dans cette voie lorsque d’autres alternatives existent ?
Le débat ne se résume pas à une opposition binaire entre partisans de la construction et défenseurs de l’environnement. Si certains militent pour un moratoire sur les projets d’envergure, d’autres soulignent que bâtir demeure parfois indispensable, notamment pour répondre aux besoins en logements ou en équipements publics. La question réside donc moins dans l’arrêt complet de la construction que dans une redéfinition de ses priorités et de ses méthodes.
Réhabilitation versus construction neuve : une équation complexe
L’arrêt de l’A69 s’intègre dans un contexte particulier du monde de la construction. L’ensemble du secteur semble s’essouffler après des décennies à un rythme effréné. L’enjeu de l’artificialisation des sols est désormais bien identifié, et la tendance est à la préservation des espaces naturels.
L’arrêt de l’expansion urbaine nous amène à nous interroger sur l’avenir de notre mode d’habitat. Le rêve pavillonnaire, toujours ancré dans la société française, n’est pas compatible avec l’urgence climatique. L’omniprésence de la voiture qu’il implique est remise en question, et l’arrêt d’un projet tel que l’A69 montre les limites du « tout voiture ». Comment répondre alors au besoin de logements ? Deux réponses semblent s’allier : la densification du tissu urbain et la réhabilitation du bâti existant.
Il est désormais courant de se demander : faut-il démolir et reconstruire, ou bien réhabiliter ? L’état de l’art tend à mettre au même niveau l’impact carbone des deux solutions, considérant qu’une démolition/reconstruction, plus impactante dans l’immédiat, est moins consommatrice d’énergie sur le long terme. Cependant, cette évaluation est critiquable. Le bureau d’étude Elioth soulignait ainsi, dans son article d’octobre 2024, les incertitudes sur l’évolution de la consommation des bâtiments rénovés. Au-delà d’un simple calcul comptable, l’urgence climatique nous impose de réduire autant que possible nos émissions actuelles, ce qui devrait nous pousser à rénover plutôt qu’à démolir.
De la critique à l’action : vers une construction régénérative
Si nous acceptons que la construction neuve doit désormais être mesurée et justifiée, comment dépasser la simple critique ? La question n’est plus seulement si nous devons construire, mais comment et dans quel but. L’arrêt symbolique de l’A69 ne prend son sens que s’il s’accompagne d’une vision alternative. Cette vision transformatrice s’articule autour de trois axes fondamentaux.
Réemploi
Tout d’abord, notre rapport aux matériaux doit évoluer radicalement vers des filières locales complètes, depuis l’extraction ou la culture jusqu’à la mise en œuvre, limitant ainsi l’empreinte logistique. Le réemploi, loin d’être une pratique marginale, doit devenir un pilier fondamental de tout nouveau projet.
Urgence climatique vs optimisation énergétique
Ensuite, notre conception du temps mérite d’être interrogée. L’horizon temporel conventionnel de 50 ans utilisé dans les calculs d’analyse de cycle de vie constitue un biais méthodologique qui favorise systématiquement la construction neuve. Cette approche ignore l’urgence climatique qui exige des réductions d’émissions immédiates, et non pas différées sur plusieurs décennies. Les outils d’évaluation devraient intégrer des scénarios différenciés selon différents horizons temporels, permettant de visualiser les compromis entre urgence climatique et optimisation énergétique.
Repenser les processus décisionnels
Enfin, il est nécessaire de repenser les processus décisionnels eux-mêmes. L’exemple de l’A69 révèle les limites d’une gouvernance descendante, où l’expertise technique et les considérations économiques priment sur l’intelligence collective et territoriale. Le développement de méthodes participatives n’est pas un simple impératif démocratique. C’est une nécessité pragmatique pour concevoir des projets adaptés aux contextes locaux et à leurs évolutions futures.
Bâtir : vers un acte générateur plutôt que prédateur ?
L’abandon de l’A69 pourrait ainsi marquer non pas la fin d’une époque constructive, mais l’émergence d’un paradigme où bâtir devient un acte régénérateur plutôt que prédateur. Cette vision dépasse l’opposition entre construction et préservation pour embrasser une approche où chaque projet contribue positivement à son écosystème naturel, social et économique.
Cette révolution conceptuelle, qui touche aux fondements de nos sociétés modernes, ne fait que commencer. Elle appelle une intelligence collective renouvelée, capable d’imaginer des solutions qui transcendent les oppositions traditionnelles entre économie et écologie. La vraie question n’est plus de savoir si nous devons construire moins, mais comment construire mieux – en harmonie avec les limites planétaires et les besoins humains fondamentaux. Et pour cela Florès peut aider !
V.I.