Ce qui est passionnant quand on est programmiste, c’est qu’on peut s’intéresser à la fois à la thermique d’un bâtiment, à l’art, à la biodiversité, à la gestion des eaux de pluie, à la terre crue… et aux questions sociétales. Parce qu’un bâtiment est avant tout un lieu de vie, Florès prend le temps de s’intéresser à celles et ceux qui l’occupent. Et parmi les sujets qui animent les débats de société, la question du genre impacte particulièrement l’architecture.
Le constat de l’imposteur
Le déclic est venu un jour en lisant un document transmis par un maitre d’ouvrage. Un banal tableau de surface des locaux. Il y était question du bureau du directeur qui devait faire 18 m², de celui de la secrétaire qui devait en faire 12, au même titre que celui de l’assistante sociale. Normal, quoi… Attendez. En fait, non !
Pourquoi l’assistanTE sociaLE et LA secrétaire seraient-elles des femmes ? Ces postes sont-ils interdits aux hommes ? C’est avec horreur que je replonge dans des documents que j’ai récemment rédigés. Le constat est sans appel. Tu te pensais acquise à la cause de l’égalité des genres ?
Imposteur ! Tu parles encore de « sage-femme » alors qu’il faut parler de maïeuticien(ne) ! Et avec quelle décontraction tu oses affirmer qu’un seul vestiaire est suffisant pour les techniciens de maintenance ! Et oui, parce que les femmes, ça ne touche pas aux réseaux de plomberie… (je sais, mais le code du travail dit que… blablabla)
L’impact du genre sur l’aménagement d’espace
Bref , chassez le naturel, il revient au galop ! Mea culpa, promis juré, à partir d’aujourd’hui je ferai attention à utiliser une écriture inclusive. Le langage écrit ou parlé, comme vecteur privilégié d’information, participe largement à véhiculer biais, stéréotypes, idées reçues et pratiques d’un autre temps. Restons donc attentif(ve)s à ce que nous formulons.
Mais s’il ne s’agissait que de langage, l’impact sur notre métier de programmiste serait tout de même limité. Le problème, c’est que ces biais trouvent également leur traduction en termes d’aménagements d’espaces, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs. Les conséquences sont à la fois sociales, mais aussi techniques.
Des exemples à la pelle
Des exemples, nous en avons à la pelle !
Que dire des cours d’école genrées, aménagées avec un beau stade de foot au milieu pour les garçons et des petits bancs autour pour les filles ?
Et les sanitaires publics ? Hop, un pour les hommes et un pour les femmes ! Mais où aller si je ne suis ni l’un, ni l’autre ? Et l’espace change bébé qu’on ne retrouve que dans les WC des femmes ? Pourquoi un homme ne pourrait-il pas avoir le bonheur de changer la couche de son bambin ?
Et si on mutualisait la salle de détente du service technique et celle du secrétariat ? Ah non, non, non ! Surtout pas ! « Vous comprenez, les petites nanas n’aiment pas trop qu’un mec dégueulasse tout poussiéreux vienne se mélanger à elles » (NDLR : c’est du déjà entendu) ! Résultat : le technicien malodorant, il prendra son déjeuner tout seul au sous-sol !
La conséquence technique de tout cela : des mètres carrés en plus, des espaces non fonctionnels, des surfaces non mutualisées, des réseaux à dédoubler… parfois inutilement.
Briser les tabous
Attention ! Nous ne sommes pas en train de dire qu’il faut dès aujourd’hui rendre tous les sanitaires unisexes pour régler le problème ! Les différences de genres posent des questions de rapport à l’intime, à l’identité et à l’autre, qui ne peuvent être résolues en un claquement de doigt.
Si Florès n’a pas de solutions toute faite en termes d’aménagement d’espaces, nous étudions des pistes, brisons les tabous et osons désormais aborder ces questions, entre nous et avec vous. Car tant que les bâtiments ne seront pas vertueux et accueillants pour tous, sans exception, la remise en question des pratiques devra être permanente.
Sans même parler de l’accessibilité des espaces aux personnes LGBTQIA+* qui sont les grands oubliés des questions d’aménagement des constructions, la séparation binaire des espaces hommes/femmes dans le bâtiment témoigne d’une vision encore très sexualisée des relations.
A l’instar, de la qualité environnementale, sujet crucial aujourd’hui, mais complètement accessoire hier, la question du genre ne constituerait-elle pas un des enjeux de demain ? Et si, en osant construire différemment, nous participions aussi à l’évolution des comportements ?
S.S.
*LGBTQIA+ : lesbienne, gay, bisexuel, transgenre/transexuel, queer, intersexe, asexuel, autres.