En tant que programmistes, nous accompagnons de nombreuses maîtrises d’ouvrages pour définir le cahier des charges de leur projet immobilier (document appelé programme). Il rend compte des prescriptions fonctionnelles, architecturales, techniques, environnementales, etc, qui seront à mettre en œuvre par l’équipe de conception. Ce programme doit avant tout répondre aux exigences de la maitrise d’ouvrage. Il doit également être adapté au mieux aux besoins des futurs usagers du bâtiment. Or, ces besoins peuvent entrer en contradiction avec ceux du maitre d’ouvrage à qui revient la prise de décision, et c’est bien là l’enjeu. Comment, dans ce cas, amener les usagers à accepter certains consensus ? Comment les amener à modifier leurs pratiques ? Comment dénouer les freins ?
Des cas pratiques
- Monsieur X aime son bureau actuel qui lui est dédié et qu’il peut personnaliser. Mais, le projet prévoit de restructurer l’espace avec des bureaux partagés aux postes non nominatifs afin d’optimiser les surfaces et éviter une extension.
- Mme Y n’est pas sensible aux écogestes : elle a pris l’habitude d’augmenter la température de consigne de son bureau tout en laissant les fenêtres ouvertes. Mais, le bâtiment sobre et bioclimatique est très sensible à l’utilisation qu’en font ses occupants et l’atteinte des niveaux de performance énergétique fixés au programme en dépend.
- Monsieur Z apprécie travailler dans son école : l’environnement actuel est calme et vert. Mais, le projet prévoit de reconstruire l’équipement en centre-ville afin d’en améliorer la visibilité et l’accessibilité par tous
Ces trois contextes que nous avons déjà pu rencontrer peuvent aboutir à une situation de blocage de la part d’usagers, entrant en résistance avec un projet. Afin de résoudre ces problématiques, un travail d’accompagnement au changement de comportement de façon durable est nécessaire.
Rencontre avec une spécialiste
Delphine LABBOUZ, docteure en psychologie sociale et environnementale, est intervenue le temps d’une journée d’échanges lors du dernier séminaire de Florès, afin de donner à l’équipe des clés pour mieux comprendre et vaincre les freins à des changements de comportements, notamment pro-environnementaux.
Accompagnement au changement : un modèle théorique
Le modèle du changement présente, selon le positionnement de l’individu vis-à-vis du changement, les bons réflexes à adopter pour l’accompagner et les actions à mener pour pérenniser un changement de comportement. Un des conseils de Delphine Labbouz est qu’il est plus pertinent de focaliser son énergie sur les personnes motivées que sur les réfractaires.
Attention : l’individu peut facilement rétrograder à une phase antérieure en cours de processus.
Les situations possibles
Premier cas : si la personne est réfractaire au changement de comportement.
- Connaître son ressenti : freins individuels (valeurs, habitudes), sociaux (influence), contextuels (confort perçu, contraintes matérielles), organisationnels (autorité, sentiment d’injustice)
- Conserver une posture bienveillante, sans jugement ni culpabilisation
- Communiquer sur tous les enjeux et sur les intérêts du changement du comportement à différentes échelles : spatiale (conséquence locale / globale), sociale (moi / mes proches / les autres), temporelle (conséquence à court terme / long terme)
Deuxième cas : si la personne a pris conscience de l’intérêt du changement mais de nombreux freins empêchent son passage à l’acte.
- Apaiser la peur, trouver des leviers aux freins et conflits d’usage, montrer des solutions concrètes et exemples qui ont fonctionné
- La sensibiliser par des pairs motivés (ambassadeurs)
- Définir les marges de manœuvre
Troisième cas : la personne a surmonté ses craintes et s’organise pour agir.
- Donner les outils pour agir, implémenter les intentions
- Favoriser l’engagement et la démarche participative
- Donner du contrôle, responsabiliser
- Favoriser la dynamique de groupe, renforcer le sentiment d’appartenance, privilégier les échanges en face-à-face
Quatrième cas : la personne passe à l’acte et change son comportement, mais il existe un risque important de rechute vers les anciennes habitudes.
- Valoriser les pratiques réalisées, communiquer de manière positive
- Adapter le contexte pour faciliter le comportement : par exemple, permettre à chacun de se sentir « comme à la maison » dans son nouveau bureau
- Rappeler les motivations, les valeurs, impliquer de nouveau les ambassadeurs
Cinquième cas : le nouveau comportement est définitivement accepté par la personne !
Et dans ce cas, c’est très positif ! Vous avez réussi à lever tous les freins au changement.
L’importance du facteur humain
Pour qu’un programme soit réaliste et adapté à l’usage du bâtiment, il est primordial de prendre en compte le facteur humain :
- Impliquer les différentes parties prenantes dans la définition du projet au plus tôt
- Anticiper les futurs comportements des usagers (laisser des marges de manœuvre sur la gestion du bâtiment), etc.
Cela, Florès l’a bien compris et a développé des outils permettant d’étudier les comportements humains en vue d’amener le changement ou d’améliorer un fonctionnement. Florès réalise pour chaque projet des concertations ou ateliers participatifs auprès de plusieurs catégories d’utilisateurs, pour cerner leurs attentes (et parfois craintes) vis-à-vis du projet. Plus un projet est co-construit en amont, plus il sera réussi !
Soyons vigilants et à l’écoute !
Nous restons toutefois vigilants sur le discours que nous portons auprès des usagers lors de ces concertations : « Tous les désirs sont légitimes mais tous ne sont pas réalisables » – F.Dolto.
Nous précisons dès le départ que des contraintes, procédures de prise de décisions, moyens mis à disposition impliqueront d’adapter les besoins collectés. Et c’est là que les clés que nous avons apprises seront utiles !
Bonus : La preuve qu’un changement de comportement peut réussir : succès du projet de réhabilitation d’un plateau tertiaire en un flex-office sur mesure, mené par Florès pour la société Michelin.
M.R.