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« Qui a oublié d’éteindre la lumière dehors ?! » – Solutions contre la pollution lumineuse

« Qui a oublié d’éteindre la lumière dehors ?! » – Solutions contre la pollution lumineuse

Qu’elle soit sous la forme d’un halo lumineux jaunâtre diffus en milieu urbain, de sur-illumination inutile, ou de lumière intrusive non désirée, la pollution lumineuse grignote peu à peu notre espace nocturne. Elle affecte aussi bien notre santé que les écosystèmes et la biodiversité. Le bâtiment et ses aménagements extérieurs en sont une des causes, pourtant, à l’échelle de la planification et des concepteurs, des solutions de bon sens sont facilement applicables.

Quand on évoque les impacts environnementaux du secteur du bâtiment et de la construction sur l’ensemble de son cycle de vie (de l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie du bâtiment), ce sont souvent les impacts les plus immédiats qui viennent à l’esprit : artificialisation des sols, émissions de GES, impacts des matériaux de construction utilisés et de leur transport, production de déchets et rejets de polluants divers dans l’eau, l’air, les sols.

Il existe cependant un impact moins considéré dans les démarches environnementales et les politiques publiques, qui pourtant n’est pas sans conséquences sur les écosystèmes, la santé humaine et la consommation énergétique : celui de la pollution lumineuse.

Quelques chiffres sur l’éclairage artificiel

Depuis l’essor de la fée électricité, l’éclairage artificiel a connu une croissance exponentielle dans tous les grands bassins de vie, particulièrement durant les cinquante dernières années : multiplication des éclairages individuels et publics, publicitaires et de « mise en valeur » de monuments ou de sites naturels, auxquels s’ajoutent les éclairages des véhicules et ceux de nos nombreux écrans technologiques.

Aujourd’hui, en France, la consommation globale d’électricité liées à l’éclairage est de 56 TWh, avec la répartition suivante (sources : Ademe – 2017 et Agence Française de l’Eclairage et Opusligth – 2013) :

lumineuselumineusePour le seul éclairage public, ce sont environ 9,5 millions de points lumineux sur le territoire, avec un temps moyen de fonctionnement d’environ 3 200 heures par an.

Les enjeux de la pollution lumineuse

Si les impacts des émissions de lumière artificielle semblent secondaires comparés à d’autres pollutions, il serait utile d’en rappeler certains :

  • Sur la santé humaine : notre rythme circadien (cycle biochimique de 24 h) basé sur l’alternance jour / nuit est perturbé par la présence trop importante de lumières nocturnes. Ce dérèglement de l’horloge biologique, qui régule fonctions biologiques et hormonales peut affecter notre santé et les cycles de sommeil, notamment par la diminution du taux de mélatonine.
  • Sur la biodiversité et la fragmentation des habitats : première cause de la disparition d’espèces d’insectes nocturnes dans nos villes et ses alentours, le sur-éclairage affecte les équilibres des écosystèmes et perturbe durablement la chaîne alimentaire entre proies et prédateurs, et même la reproduction de certaines espèces. Les oiseaux migrateurs qui se déplacent principalement de nuit sont aussi perturbés par les sources de lumière puissantes (centres des grandes agglomérations, bâtiments et monuments éclairés), conduisant à des modifications importantes de leur trajectoire, des collisions, pertes d’orientation ou épuisement. La flore est également impactée directement dans ses rythmes biologiques et indirectement par la diminution des insectes pollinisateurs nocturnes.
  • L’économie et la consommation d’énergie : si certains acteurs ont pris la mesure du gaspillage énergétique, le potentiel en termes de sobriété énergétique (suppression des éclairages inutiles, meilleure gestion des systèmes d’éclairage) et d’efficacité énergétique (remplacements des installations obsolètes) reste important.

Enfin, au-delà des considérations strictement mesurables, cette surabondance de lumière impacte notre culture et ce bien commun qu’est le plaisir de pouvoir admirer le ciel nocturne, d’observer la voie lactée, d’avoir la tête dans les étoiles.

lumineuse

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Figure 1 : Carte de la pollution lumineuse en France et en Europe par l’association d’astronomes AVEX

Le nombre d’étoiles que l’on peut voir à l’œil nu est un bon critère pour évaluer la qualité d’un ciel nocturne. Sur la carte ci-dessous, les zones grises possèdent un ciel excellent à l’abri de toute pollution lumineuse. Plus de 3000 étoiles sont visibles. La voie lactée est présente. Les zones rouges sont celles où les conditions d’observation sont les moins bonnes du fait de l’éclairage artificiel. La voie lactée ainsi que la plupart des étoiles sont devenues totalement invisibles. Il n’existe donc presque plus d’endroits en France où l’on puisse voir le ciel dans toute sa splendeur.

Où en est la réglementation ?

Certes, depuis le Grenelle de l’environnement, une réglementation s’est progressivement mise en place pour encadrer, d’une part, l’éclairage des vitrines, des façades des bâtiments non résidentiels et, d’autre part, les enseignes et publicités.

Ainsi, la prévention des pollutions lumineuses fait l’objet de dispositions législatives depuis la Loi Grenelle II du 12 juillet 2010. Trois obligations d’extinction sont déjà en vigueur depuis juillet 2013 :

Cependant, en raison de freins psychologiques liés à l’impression d’insécurité des personnes, au lien social, à la mise en valeur du patrimoine ou tout simplement de sujets plus « urgents » à traiter, son application et les contrôles effectués restent très variables suivant les communes ou villes.

De plus, les prescriptions techniques relatives à chacune des catégories d’installations lumineuses (conditions d’implantation et de fonctionnement des points lumineux, puissance lumineuse moyenne, efficacité lumineuse des sources utilisées) ne font toujours pas l’objet de textes d’application.

Enfin, il existe des sources d’éclairage non couvertes par la réglementation en vigueur, tels que les parcs de stationnement, les installations sportives, ou l’éclairage de mise en valeur, et aucune traduction réglementaire n’existe concernant les installations lumineuses dans les sites protégés (site Natura 2000, site classé, parc national…), même si des mesures supplémentaires devraient être actées en 2018.

Quels leviers d’actions pour le maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre ?

Les mesures à prendre concernent en grande partie les municipalités et les acteurs de l’éclairage public. Et même si plus de 70 % de la consommation d’éclairage intérieur des bâtiments se fait de jour, à l’heure du « bâtiment frugal », les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre ont aussi leur rôle à jouer pour limiter la pollution lumineuse :

  • Questionner les besoins réels en éclairage pour éviter le surdimensionnement des installations ou une utilisation inutile (éclairage des façades)
  • Prêter attention aux revêtements du sol et matériaux des parois, qui ont une importance capitale dans la proportion de lumière renvoyée vers le ciel par réflexion. Chaque matériau possède ainsi un Indice de réflexion qui traduit sa faculté à renvoyer plus ou moins de lumière ou au contraire à l’absorber. L’herbe est par exemple un revêtement très absorbant (10 % de lumière renvoyée environ) et donc très peu polluant. A l’inverse, un sol ou une paroi brillante renverra beaucoup de lumière.
  • Remplacer les équipements obsolètes mais se méfier de l’effet rebond en limitant les réflexions aux enjeux économiques de la pollution lumineuse. Par exemple, les lampes LED ont un excellent rendement énergétique. Il est donc tentant de multiplier les sources lumineuses tout en consommant moins, et d’oublier l’impact très fort sur l’entomofaune de la lumière froide blanche/bleutée des LED.
  • Moduler la durée, la fréquence ou les horaires d’allumage et d’extinction afin de faire coïncider l’éclairement avec le besoin humain réel, par exemple en utilisant des détecteurs de présence associés à une minuterie ou un asservissement à la lumière naturelle afin de circonscrire l’éclairage au moment où un humain en a effectivement besoin.

Le constructeur est souvent sollicité dans la définition de l’aménagement de la voirie attenante, ainsi il peut privilégier plusieurs actions à ce niveau :

  • Utiliser des lampadaires à lumière canalisée plutôt qu’un éclairage en halo
  • Diminuer la puissance et la densité de l’éclairage
  • Réduire leur nombre par rapport aux pratiques actuelles

La pollution lumineuse peut paraître comme un impact environnemental mineur du secteur du bâtiment et de la construction, pourtant, qu’elle soit directe (éclairage des façades) ou indirecte (aménagement de la voirie autour du bâtiment), l’impact est réel, notamment sur la biodiversité et la fragmentation des habitats. Mais heureusement, il est réversible grâce à des solutions applicables à l’échelle du bâtiment et de son environnement immédiat, notamment dans le cadre d’une démarche HQE.

De manière plus globale, sur les outils de planification stratégique, au même titre que les trames vertes et bleues, identifiant les continuités écologiques terrestres et aquatiques sur le territoire, il devient urgent d’intégrer une trame noire ou sombre pour protéger ces habitats.

Sources/ Pour aller plus loin

F.L.