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Bâtiments biosourcés en commande publique : utopie ou réalité ?

Bâtiments biosourcés en commande publique : utopie ou réalité ?

Le Grenelle de l’environnement et la sensibilisation accrue des acteurs de la construction aux enjeux environnementaux ont permis d’engager peu à peu la démocratisation des éco-matériaux dans les constructions d’échelle moyenne.
Des réseaux structurés ont ainsi pu voir le jour pour rédiger les règles de construction propre à ce type de matériaux. Paille, chanvre, chaux, laine de mouton…depuis les années 50 l’utilisation de ces matériaux était relativement limitée. On les trouvait par exemple dans des projets « hors norme » et ponctuels de particuliers militants se lançant dans l’autoconstruction/rénovation de leur maison.
Voilà maintenant une dizaine de mois, les Maîtres d’ouvrages publics, ou privés, peuvent demander le label « bâtiment biosourcé » créé par le décret n°2012-518 du 19 avril 2012. Ils peuvent ainsi mettre en lumière leur démarche environnementale volontariste lors d’un projet de construction à condition d’utiliser des matériaux issus de la biomasse animale ou végétale, dits « biosourcés ».

Au-delà de l’image « écolo » véhiculée, quels sont donc les véritables intérêts de ce genre de matériaux à l’échelle d’une construction publique ? Quel est l’avenir du « bio » dans le bâtiment ?

Partons d’une base scientifique: tout matériau de construction se doit d’être performant sur les plans:

  • mécanique (solidité, résistance structurelle)
  • hygrothermique (inertie, déphasage, perspirence…)
  • acoustique (isolement au bruit de chocs et aériens)

 

Construire les piles et tablier du viaduc de Millau en béton de chanvre reste de l’ordre de l’imaginaire. Il semble évident que les bétons biosourcés ne pourront jamais égaler les bétons ultraperformants, ni même classiques d’un point de vue mécanique.

Par contre, ils présentent un intérêt certain sur les plans hygrothermique et acoustique. Un béton de chanvre, grâce à ses nombreuses cavités et micropores, permet d’absorber l’humidité et bloquer les sons. Les propriétés isolantes de ce matériau sont considérables.

Une laine de chanvre ou de bois en vrac sera particulièrement adaptée à des travaux d’isolation en rénovation. Là où une laine de verre ou de roche risque de se tasser et perdre ses propriétés isolantes sous l’action de l’humidité, les fibres naturelles assurent leur rôle durablement et sainement. Sur le plan environnemental, ce sont la disponibilité des matières premières agricoles renouvelables et leur capacité à stocker le CO2 qui présentent un intérêt – dans la mesure où l’on passe par des filières courtes.

Alors pourquoi les maîtres d’ouvrage sont-ils encore frileux et ne s’engagent que rareement dans ce type de projet ?

C’est une combinaison de facteurs interdépendants qui constitue un frein à l’entreprise de tels projets:

  • premièrement, le coût d’investissement est supérieur d’environ 10 à 15% à celui d’une construction classique et aucune aide financière spécifique à l’utilisation de matériaux biosourcés n’existe pour jouer un rôle de levier…
  • vient ensuite le manque de visibilité et de structuration de filières courtes, depuis la récolte des matières premières végétales, jusqu’à la mise en œuvre sur le chantier en passant par leurs transformations intermédiaires. Seules deux réseaux structures existent à l’heure actuelle : RFCP : Réseau Français de la construction en paille-les compaillons, et CenC : Construire en Chanvre. Les ressources en bois sont quant à elles loin d’être exploitées de façon optimale. Il est par exemple moins coûteux de faire transformer du bois français à l’étranger…A cela s’ajoutent le déficit en formation des artisans et entreprises et la difficulté à coordonner les entreprises entre elles, ainsi que le contrôleur technique.
  • enfin, les assureurs rechignent à s’engager pour des dommages ouvrage car les avis techniques sont très longs à obtenir pour ces matériaux. Ils ne peuvent se fier à des retours d’expérience sur des constructions similaires, encore trop peu nombreux.

Heureusement, certains maîtres d’ouvrages français, quelle que soit leur taille, osent s’engager dans des projets pionniers, qui pour autant ne relèvent plus de l’aventure! Ils permettent de desserrer ces freins peu à peu.

 

On peut citer parmi eux, la société HLM « le Toit Vosgien » avec son immeuble de logements sociaux en structure bois massif de 8 niveaux, à Saint-Dié-Des-Vosges (88). L’isolation est faite en paille sur au moins une des façades. La Communauté de Commune des collines du Perche (28), a elle aussi été séduite par une construction ossature bois/ isolation paille pour sa crèche à Cormenon.

Pourquoi ce rôle moteur des acteurs publics?

  • d’abord, les maîtres d’ouvrage publics raisonnent de plus en plus en coût global et prévoient que les coûts d’entretien et réparation d’un bâtiment biosourcé seront plus faibles qu’en construction traditionnelle.
  • ensuite, les maîtres d’ouvrage publics présentent des organes de maîtrise d’ouvrage structurés, compétents et sensibilisés, capables de porter de tels projets.
  • enfin, des procédés industriels innovant commencent à voir le jour pour garantir dans le temps une qualité de production régulière et obtenir des labels. Citons par exemple une entreprise de construction de murs bicomposant préfabriqués (béton d’argile porteur et béton de chanvre isolant) dans le Loir et Cher. Cette région est particulièrement favorable à la culture du chanvre. La technique employée a obtenu un Pass Innovation du CSTB. Il s’agit d’un dispositif volontaire qui permet aux entreprises, aux contrôleurs techniques et aux assureurs de disposer d’une première évaluation technique des produits ou procédés, dans un délai réduit (entre 6 et 12 mois). Pour certains assureurs ces Pass Innovation sont suffisants pour s’engager dans le projet, même si aucun avis technique n’est encore paru.

 

C’est la demande qui crée l’offre mais aussi l’offre qui satisfait la demande. Pour le moment, les isolants biosourcés ne représentent que 7 à 8% du marché des isolants en France. Un maître d’ouvrage public, tels les conseils généraux ou régionaux, peut participer de la dynamisation de l’économie locale par ce biais. Il peut en effet inciter à l’usage de matériaux et techniques locaux dans la formulation des objectifs de performance d’un bâtiment, ou encore autoriser des variantes dans les réponses à appels d’offre.

L’heure est venue de réinventer l’histoire des trois petits cochons. Combinons intelligemment traditionnel et naturel, agriculture et construction, pour développer un patrimoine immobilier sain, performant et durable.

C.G.